Point de vue :

Emmanuel LANSYER, massier de l’atelier Courbet
 par Gisèle Blanchard, vice-présidente de l’Institut Courbet

A la brasserie Andler les artistes de la fin du 19ème siècle aimaient se retrouver pour boire, discuter, fumer, rire et changer le monde. Courbet y avait ses habitudes et les autres faisaient cercle quand il parlait.

Un soir de septembre 1861 il est probable que la discussion animée roulait sur l’enseignement académique de la peinture à l’Ecole des Beaux-Arts ; On sait par Jules Castagnary que de jeunes peintres échauffés et enthousiastes eurent l’idée d’un atelier, animé d’un esprit nouveau, qui serait affranchi des contraintes et rêvaient que Gustave Courbet soit leur maitre.

Mais entre l’idée et la réalisation il s’écoula trois mois : il fallait trouver un lieu et penser à son organisation.

Le propos ici n’est pas de développer ce que pensait Gustave Courbet lui-même de son rôle dans l’atelier. Une très belle lettre datée de noël 1861, probablement co-écrite avec Castagnary, explique sa position : il ne veut être qu’un artiste parmi d’autres artistes et en aucun cas un maitre car «il ne peut y avoir d’école, il n’y a que des peintres ».

Castagnary trouve un local au rez-de-chaussée du 83 rue Notre Dame des Champs à Paris. Le bail est signé le 9 décembre 1861 et l’atelier ouvre le même jour, avec 31 peintres dirait Courbet… 31 étudiants disons-nous. [1]

Parmi ces élèves il y en a un qui est élu pour être le massier. C’est Emmanuel Lansyer.

Le massier est le personnage central d’un atelier de beaux-arts, c’est une tradition médiévale.

Notre époque a gardé cette splendide tradition. Cette fonction existe toujours et s’apparente plus à un bureau des élèves dont le but est l’entraide dans des domaines aussi divers que la communication, le soutien dans l’organisation des expositions, les pistes pour l’insertion dans le marché et les festivités inséparables de l’ambiance comme était le fameux bal des quat’zarts.

Pourquoi appelle-t-on le personnage central d’un atelier « massier » ?… parce qu’il « fait masse », masse des ressources matérielles. Il regroupe les cotisations et se débrouille pour négocier les matières premières, pigments et toiles, l’éclairage et le chauffage, trouve les modèles, organise les fêtes .Il est aussi l’intermédiaire entre les élèves et le maitre. Le massier est souvent doté d’une personnalité affirmée

Emmanuel Lansyer avait, sans aucun doute, la détermination et la claire vision de l’organisation nécessaires à un massier.

Néanmoins l’atelier de la rue Notre Dame des Champs ferma quelques semaines après le début de l’année 1862. Peindre comme Courbet est une proposition d’enseignement qui s’avéra hors de portée des élèves ;

Les qualités qui firent d’Emmanuel Lansyer le massier de l’atelier de Courbet lui permirent un parcours remarquable. Il exposa au Salon officiel dès 1861. Sa nomination, en septembre 1870 comme membre de la commission présidée par Courbet et chargée de la sauvegarde des œuvres d’art n’entacha pas son ascension sociale. Il devint un peintre officiel, fut gratifié de nombreuses récompenses, il fut décoré de la légion d’honneur mais mourut en 1893.

Une sorte de communauté de destin : Emmanuel Lansyer, le massier de l’atelier éphémère comme le Maitre-peintre Gustave Courbet ne vécurent que 58 ans.

[1] Correspondances de Courbet établies par Pétra Ten Doesschate Chu