Actualité de l’édition, Théodore Duret / Etienne Baudry, la Saintonge à l’honneur aux Editions charentaises Le Croix Vif.

Théodore Duret, entre négoce de cognac et critique d’art par Marie Chantal Nessler et Françoise Royer.

    Fils d’un riche négociant en cognac, la vie de Théodore Duret semblait toute tracée. Mais en 1862, il n’a alors que vingt-quatre ans, il rencontre le « maître-peintre », chef de l’école réaliste, Gustave Courbet, venu découvrir de nouveaux horizons près de Saintes. Les fameuses agapes au château de Rochemont, en pleine campagne saintongeaise, le voisinage d’artistes reconnus comme Corot et de jeunes talents tels Pradelles et Auguin, ces folles journées et soirées, Duret ne les oubliera jamais. Trois ans plus tard, tout à fait par hasard, il tombe sur Manet dans un restaurant madrilène ; cela commence par une dispute au sujet du menu puis les deux jeunes Français décident de visiter Madrid ensemble. Ce sera le début d’une longue amitié…

       Commence pour le jeune homme une vie qui associe le triomphe de son négoce à l’international et la découverte de l’Extrême-Orient où il se passionne pour l’art japonais, au point de créer en Europe un véritable engouement connu sous le nom de « japonisme ». Un homme d’une rare richesse culturelle à son époque, et vu de la nôtre, un homme moderne, capable d’être à la fois partout et de partout, à Londres, à Paris ou à Tokyo, avec Whistler ici, avec Cernuschi là ou avec Hokusai là-bas. Aujourd’hui, on dirait de lui qu’il était un des principaux passeurs culturels de son temps.
Riche en Charentes – la troisième fortune de Cognac ! -, mais battu en politique pour des idées considérées comme trop avancées, il est élu comme républicain à Paris en 1870 mais fuit la ville au moment de la Commune ; collectionneur et mécène à ses heures, il est un soutien fidèle pour Manet, Sisley, Pissarro, il s’engage aussi aux côtés de Zola pour défendre le capitaine Dreyfus ou à ceux d’Oscar Wilde et de Marcel Proust lorsqu’ils se trouvent en difficulté.

        Après quelques épisodes politiques voués à l’échec, tout comme la fortune du cognac mise à mal lorsque le phylloxéra ronge le vignoble, sa vraie vie est celle d’un critique d’art éminent, d’un journaliste et d’un écrivain ouvert aux autres. Il reste le découvreur et le protecteur de la nouvelle avant-garde de la peinture, celle des impressionnistes dans le Paris d’alors, brillante capitale des Arts. Duret met son intelligence, ses relations, son entregent et sa fortune au service des artistes de sa génération tels Sisley ou Monet, Renoir ou Pissarro, sans oublier Whistler et Manet ses aînés. En témoigne la riche correspondance entre lui et les impressionnistes, et les portraits faits de lui par ses amis, Manet, Whistler, Vuillard…

Étienne Baudry, Une vie charentaise

Étienne Baudry, Une vie charentaise… châtelain, dandy, écrivain militant par Yvonne Melia-Sevrain

Du château de Rochemont, son domaine près de Saintes, aux cercles parisiens, l’itinéraire de Baudry est marqué par son soutien au monde des arts et des lettres, son implication dans la vie politique locale comme républicain militant, son esprit d’avant-garde dans le domaine social et économique.

Touche-à-tout de génie, il est surtout fin observateur de son temps, d’une imagination débordante doublée d’un grand sens pratique, il s’intéresse à tout ce qui l’environne. N’allait-il pas déposer un brevet du « système Baudry » pour alimenter en eau le château de Rochemont ou encore inventer un projectile révolutionnaire lors de la guerre de 1870 ? Son allure de dandy et ses opinions marginales le font passer auprès de ses contemporains pour un original. Mais un original dont les fêtes qu’il donne à Rochemont sont courues par le « tout Charentes »…
Sous cette apparente excentricité, se cache un homme courtois, généreux, opiniâtre. « On s’aperçoit que pour bien des choses, Étienne Baudry était dans le vrai, qu’il s’agisse de politique ou d’art. N’eut-il pas l’intelligence de reconnaître à l’avance le génie d’un des maîtres de la peinture, Gustave Courbet ? », en dit Madeleine Chapsal dans sa préface. Baudry l’accueille princièrement en Saintonge durant deux ans. Naît alors une amitié qui perdure lors de l’exil en Suisse de Courbet, alors abandonné de tous. À la mort du peintre, Baudry offre ses tableaux à la soeur de Courbet pour que les chefs-d’oeuvre du maître d’Ornans soient exposés aux yeux du public. Il soutient également de nombreux artistes comme Auguin, Pradelles, Corot, puis à quarante ans passés, il se lie d’amitié avec les impressionnistes, ces jeunes peintres alors peu appréciés qu’étaient Renoir, Monet, Pissaro…

        Dans le domaine social, ses idées font « hurler le bourgeois » quand il propose que le propriétaire terrien devienne directeur d’une société par actions dont le domaine serait le capital et les paysans les actionnaires, ou encore quand il s’attaque à la vie domestique en prônant le libre-service. Il prévoit la disparition des domestiques remplacés par des femmes de ménage rémunérées à la tâche. Prophétique, non ? Il eut d’autres intuitions : l’apparition d’une nouvelle classe bourgeoise issue du monde ouvrier, la suggestion d’un impôt sur le revenu… Ses oeuvres, où se retrouvent ces idées – qu’il s’appliqua à lui-même -, eurent de nombreux échos louangeurs dans la presse régionale et parisienne.

       Il devait mourir en 1908 à Royan, méconnu dans son propre pays alors qu’il y fut très impliqué politiquement et humainement. La Saintonge lui a rendu bien peu d’hommages. Cette biographie rédigée par sa petite-fille vient combler un manque et saura sans nul doute replacer Étienne Baudry dans la mémoire charentaise comme un homme original certes, visionnaire sûrement, passionné par sa terre et ses contemporains au point de leur consacrer sa vie et sa fortune.