Découvrez une œuvre au cœur du musée départemental Gustave Courbet.
Plongez au cœur de l’exposition « Devenir Courbet » – fruit d’un partenariat entre l’Institut Gustave Courbet et le musée départemental Gustave Courbet, fruit de nombreuses recherches de la Commission scientifique de l’Institut Gustave Courbet – en explorant les secrets d’une œuvre emblématique qui y est présentée.
Gustave Courbet, Ecce Homo, c.1840, huile sur toile, 24 x 19, Dépôt permanent du musée départemental Gustave Courbet Inv D2022.1.1, collection particulière Marie et Bernard Cola. © Photo : Musée départemental Gustave Courbet

Un Ecce Homo de Gustave Courbet (n°F14 du catalogue raisonné de Gustave Courbet par Robert Fernier) copie d’un œuvre de Guido Reni conservée au musée du Louvre porte une dédicace mystérieuse à Anna Nodier : « A Anna Nodier. G. Courbet«


Mais qui est ANNA NODIER qui apparait en fait dans l’état civil d’Ornans sous les prénoms officiels d’Hermance Félicie, fille de Jean – Baptiste Nodier et de Clémence Bastide avant d’être l’épouse d’Alexandre Le Go.
Retour sur son parcours singulier.
FILLE DE JEAN – BAPTISTE NODIER ET DE CLEMENCE BASTIDE
Jean – Baptiste Nodier (Ornans, 1789 – Besançon, 1866), fils de Claude Antoine Nodier (Ornans, 1747 – Ornans, 1801) et de Simone Saulnier (Ornans, 1746 – Ornans, 1820), propriétaire – cultivateur, veuf de Madeleine Doret, se remarie à Ornans, le 24 juillet 1827, avec Clémence Bastide (Ornans,1805 – ?), fille de Jean Simon Bastide (Ornans, 1778 – Ornans, 1858) ferblantier, entrepreneur de travaux publics et de Marie Voirin (Budling, 1777 – Ornans, 1845). Les témoins sont tous des notables ornanais (1). Neuf ans plus tard, le couple Nodier réside dans le quartier du Seult ; le ménage comprend Marie Dubiez une domestique et trois enfants : Céline, Ernest et Anna âgés respectivement de 8, 6 et 4 ans (2).
Les deux filles n’ont pas été enregistrées dans l’état civil d’Ornans sous ces derniers prénoms, mais déclarées Simonne Joséphine (Céline) le 13 septembre 1828 et Hermance Félicie (Anna) le 3 juin 1832. En revanche, leur fils y est bien mentionné Ernest, le 23 janvier 1830. Une autre fille Marie Pauline, née le 8 septembre 1836, s’ajoute au foyer comme le rapporte le recensement de 1851. A cette date Anna Nodier est majeure, vit « du revenu de ses parents ». Dix ans plus tard, en 1861, elle n’est plus inscrite dans le registre ornanais du recensement. En revanche ses parents, sa sœur cadette et deux domestiques sont toujours répertoriés au quartier du Seult.
EPOUSE D’ALEXANDRE LE GO OU LEGO
En 1839, l’abbé Girod achète l’ancien couvent des minimes pour y installer une maison d’éducation confiée aux visitandines ; c’est là qu’Anna Nodier a sans doute suivi ses études. A-t-elle ensuite désiré y entrer comme religieuse ce qui expliquerait le sujet qu’a choisi Courbet en lui dédicaçant une copie du célèbre Christ au roseau de Guido Reni ? Rappelons que les thèmes de l’Ecce Homo, de la Passion sont au cœur de la dévotion de l’ordre de la Visitation de Sainte-Marie. Divers motifs ont – ils empêché Anna Nodier de concrétiser ses vœux ? Juliette Courbet son aînée d’un an avait aussi eu l’intention d’entrer comme postulante chez les sœurs de l’hôpital Saint – Jacques à Besançon.
La seule certitude est qu’après 1852 la jeune femme part en Algérie rejoindre un de ses oncles maternels, Edouard Bastide (Ornans, 1809 – Alger, 1869), avocat défenseur auprès les tribunaux à Alger ; il démissionne ensuite de ses charges juridiques pour suivre une carrière de haut fonctionnaire : secrétaire du conseil général d’Alger, adjoint au maire d’Alger et enfin conseiller de préfecture. Un autre oncle maternel d’Anna Nodier n’est autre que Monseigneur Gustave Bastide (Ornans,1819 – Rome,1875), ami d’enfance de Gustave Courbet. Le comte d’Ideville dans sa biographie sur le peintre rapporte que le prélat conservait à Ornans « un portrait épouvantable que fit de moi Courbet à quinze ans ». Gustave Bastide proche du peintre étudie le droit à Paris où il soutient sa thèse en 1843, sollicite un office d’avocat en Algérie ayant l’intention d’y rejoindre son frère Edouard Bastide. Finalement ordonné prêtre à Rome, il devient chapelain de l’église Saint-Louis des Français, puis aumônier militaire des armées françaises et pontificales (3). Le bulletin des visitandines d’Ornans indique qu’il revient régulièrement à Ornans (4). A -t-il influencé sa nièce d’une manière ou d’une autre dans son parcours de vie ?
Anna Nodier connait bien Jean François Colard, docteur en médecine futur successeur à Ornans de Jean Jacques Xavier Colard Talent puisqu’il avait été témoin du mariage de sa sœur Céline avec Michel Verschneider. Le 1 er avril 1856 Colard quitte la France en tant que « médecin de colonisation » (dossier Légion d’honneur). Six mois plus tard, le 6 octobre 1856, Jean François Colard domicilié à l’Arbah, à 25 kilomètres au sud – est d’Alger, sert de témoin à son mariage. Anna Nodier qui réside à Alger chez son oncle Edouard Bastide rue Bab Azoun épouse un veuf de quatorze ans son aîné, Alexandre André Lego ou Le Go (Juigné, 1818 – Besançon, 1871). Il exerce la charge de conducteur des Ponts et Chaussées attaché au service des desséchements et des routes. Ses parents, Jean Baptiste Nodier et Clémence Bastide ne pouvant se déplacer, un « acte notarié avec consentement a été passé chez Me Henriot notaire à Ornans le 3 septembre 1856 ».
Le jeune couple fixé à L’Arbah accueille le 1 er novembre 1857 leur fils Albert. Revenu en France, il s’établit à Nice au 11 rue du Temple. C’est là que naît Jeanne le 30 novembre 1865, les témoins de l’acte d’état civil soulignent leur appartenance à la bonne société niçoise (6). Mais Alexandre meurt à 53 ans, le 5 novembre 1871, lors d’un séjour à Besançon dans sa belle – famille.

SŒUR DE CELINE VERSCHNEIDER ET DE MARIE FUMEY
Dans le choix du thème de l’Ecce Homo, il n’est pas anecdotique de signaler, le mariage à Ornans, le 7 mai 1847, de Simonne Joséphine dite Céline Nodier, la sœur aînée d’Anna, avec Michel Verschneider (Puttelange, 1821- Besançon, 1900), maître de chapelle à la métropole de Besançon, poste qu’il occupera pendant plus de cinquante ans. Deux des frères du marié sont des facteurs d’orgue réputés : Jean-Frédéric II Verschneider construira en 1854 l’orgue de l’église Saint-Laurent d’Ornans et Charles rénovera vers 1860 à partir d’éléments du XVIIIe siècle l’orgue de l’église Notre – Dame dans le quartier de la Boucle à Besançon. L’un des témoins du mariage de Céline Nodier est Alphonse Promayet, qualifié de « maitre de musique à Ornans ». Quatre ans plus tard, le peintre le représentera dans un portrait aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum of Art, New York. En 1862, Céline Verschneider décède brutalement à 34 ans laissant cinq enfants. Jean-Baptiste et Clémence Nodier quittent alors Ornans pour s’occuper de leurs petits – enfants et s’installent aux Chaprais, dans la banlieue de Besançon. Leur benjamine Marie Pauline s’y marie, le 22 février 1865, avec Auguste Fumey, un avocat, fils d’un huissier bisontin.
MERE D’ALBERT LE GO
Anna Nodier devenue veuve se fixe définitivement à Nice où elle décède rentière au 19 rue Garnier à 82 ans le 20 avril 1912. Son fils Albert Le Go (L’Arbah,1857- ?, avant 1927) mènera une brillante carrière dans l’administration publique ; d’abord contrôleur des contributions directes, il sera ensuite sous-préfet à Baume – les- Dames, puis à Uzès. Il a épousé, le 21 janvier 1882, Marie Claire Giraud à Grasse où d’après le recensement de 1901 le couple habite Place de l’Evêché, compte deux enfants : Jeanne Le Go (1884 -1948) et Max (1891-1974). Ce dernier devenu avocat s’unit à Grasse en 1927 à Marie Thérèse, fille du vicomte Victor Gautron du Coudray (1868-1957), écrivain, archéologue, directeur du musée de Clamecy, il est également peintre paysagiste ayant été l’élève de Legendre et surtout d’Hector Hanoteau, un ami de Gustave Courbet.
Au décès d’Anna, Albert Le Go hérite de l’Ecce Homo qui entre ensuite dans la collection Carrel à Besançon. En 1962, il est présenté à Ornans dans les salles de l’hôtel de ville, lors d’une grande exposition sous le patronage d’André Malraux. Il est présenté aujourd’hui dans le parcours permanent du musée Gustave Courbet grâce au dépôt de collectionneurs privés et pour quelques mois dans l’exposition Devenir Courbet à coté du tableau qui lui a servi de modèle au musée du Louvre.
Essai par Chantal Humbert, docteure en histoire et histoire de l’art, membre de la commission scientifique de l’Institut Gustave Courbet.

Guido Reni (1575-1642), Le Christ aux roseau, dit aussi Ecce Homo, huile sur toile, 62 x 48, musée du Louvre, Paris

Sources :
Archives départementales numérisées du Doubs (Ornans, état civil et recensement), archives départementales numérisées des Alpes Maritimes (Nice et Grasse, état civil), archives départementales numérisées du Gard (Uzès, état civil et recensement).
Anom, état civil numérique des anciennes colonies françaises (Algérie).
Léonore, base numérisée des titulaires de la légion d’honneur.
Henri d’Ideville, Gustave Courbet : notes et documents sur sa vie et son œuvre, Paris,1878.
Jean Jacques Fernier, Jean Luc Mayaud et Patrick Le Nouëne, Courbet et Ornans, Herscher, 1989.
Notes :
1 Jean Jacques Xavier Colard Talent, docteur en médecine, parent de l’époux ; il s’agit du futur commanditaire du Saint Vernier que Claude Antoine Beau peindra pour l’église Saint-Laurent d’Ornans ; Jérôme Bonaventure Augustin Césaire Grandjacquet, avocat et notaire royal ; Louis Voirin, négociant et Jean Claude Cuenot, marchand chapelier.
2 Recensement numérisé d’Ornans, 1836, 97/105.
3 Jean-Marie Thiébaud. Chanoine Louis Besson, Oraison funèbre de Mgr Bastide prononcée dans l’église paroissiale d’Ornans, le 15 avril 1875, 20 pages, Besançon, 1875.
4 Bulletin Vive Jésus ! De notre monastère de la Visitation-Sainte-Marie- d’Ornans, 1855.
5 Outre Jean François Colard, docteur en médecine, les autres témoins sont bien sûr Edouard Bastide, son oncle avocat : Edouard Hardy, ingénieur des Ponts et Chaussées, François Charaud, chef de service typographique.